LEXPERTISE IMMOBILIÈRE EST-ELLE UNE SCIENCE MINEURE
Abstract : lévaluation immobilière nest pas simple. La valeur des appartements est difficile à établir, soumise à des variations considérables et celle des immeubles entiers plus difficile encore, en particulier pour les immeubles dhabitation. La valeur des fonds de commerce dépend du réel bénéfice de lexploitation. Enfin la détermination des loyers commerciaux est pour sa part particulièrement complexe, sauf peut-être pour les bureaux ; concernant les loyers, se pose aussi le problème de renouvellement du bail.
Lexpertise immobilière semble se limiter à la multiplication dune surface par un prix au mètre carré.
La valeur immobilière des appartements :
Le calcul des surfaces réglementé par la loi CARREZ. Quant au prix au m², la Chambre des Notaires donne chaque année des prix moyens suivant les arrondissements de la capitale, les villes de banlieue et le reste de la France.
On peut admettre que le prix unitaire varie pour les appartements en fonction de létage, de la qualité de limmeuble et de lemplacement. Pourtant lappréciation de la valeur dun appartement est plus difficile parce que lamplitude de la variation des prix est considérable :
-avenue Victor Hugo dans le 16ème arrondissement de PARIS, les trente cinq dernières mutations donnent une fourchette de prix compris entre 4.600 et 9 000 le m²
-à CANNES sur La Croisette, lamplitude est plus importante encore : 2 600 à 8 900 le m² pour quarante quatre ventes entre 2003 et 2005
Devant de telles amplitudes, que peut signifier un prix moyen ?
La valeur immobilière des immeubles commerciaux :
Lexpertise immobilière se complique avec les valeurs des immeubles entiers.
Sil sagit dun immeuble dhabitation, on peut estimer le calcul assez simple. Par contre, pour un immeuble commercial, la difficulté est bien réelle.
Le prix nest pas celui du vendeur mais toujours celui de lacquéreur. Il dépend en conséquence du seul mode de raisonnement de ce dernier, laction du vendeur se limitant à accepter ou non, voire à discuter, le prix qui lui est offert.
Lacquéreur marchand de biens recherchera la plus-value à léchéance la plus courte. Son raisonnement le conduit à une estimation à partir de la surface. Par contre, lacquéreur investisseur privilégie le rendement et la sécurité. Il considérera limmeuble comme un produit financier et capitalisera le loyer apparent ou la valeur locative si le premier peut être modifié à court terme, à un taux se composant de trois éléments :
-le taux de largent, soit par exemple lOAT à 10 ans, soit 5,50%
- lilliquidité du capital, un capital immobilier ne se vendant pas aussi facilement que du papier : 1%
-le risque immobilier : 0 à 5%, le risque étant inexistant lorsque le fonds de commerce exploité par le locataire de limmeuble a une réelle valeur : un hôtel, une pharmacie, par exemple, élevé si la valeur du fonds est faible
Sy ajoutent encore deux correctifs :
-les frais et droits de mutation qui sont de lordre de 6,50 à 9,20% depuis la réduction des droits de mutation à 4,80%, en fait 4,89%, suivant que le prix de limmeuble est de 15 M ou de 400 000 ,
-les charges incombant à lacquéreur lorsquil deviendra propriétaire, obligeant une capitalisation du revenu net et non du revenu brut.
La valeur du fonds de commerce :
Les difficultés grandissent pour lestimation dun fonds de commerce. Leur valeur nest pas fonction du chiffre daffaires comme les traités lont fait croire pendant des années sauf sil existe un véritable marché, par exemple les officines de pharmacie, voire les fonds dhôtels.
La valeur du fonds dépend du réel bénéfice de lexploitation : lexcédent brut dexploitation (EBE) se composant du résultat dexploitation, des dotations aux amortissements et de la rémunération brute annuelle du dirigeant.
Le problème se complique encore parce quil convient de rechercher lorigine de lEBE qui peut être due à linsuffisance du loyer par rapport au marché ou à lexploitation du fonds ou encore aux deux.
Un fonds qui ne peut supporter le loyer du marché est un fonds qui vit sur son capital constitué par le droit au bail. Cest un fonds en faillite et lexploitant nen sait rien le plus souvent.
Sil y a lieu dapprécier la valeur immobilière du bien par la différence entre la valeur libre et lindemnisation déviction susceptible dêtre versée à lexploitant, on voit lextrême difficulté.
Les loyers commerciaux :
Mais la difficulté la plus grande réside dans la détermination des loyers des immeubles commerciaux. Le niveau des loyers des bureaux commerciaux est dans lensemble bien connu et ne pose pas de problème : encore convient-il de vérifier que limmeuble a bien une affectation de bureaux.
Il nen est rien pour la plupart des autres immeubles commerciaux.
Prenons lexemple des boutiques :
On peut concevoir quil existe un loyer de marché pour les boutiques. Cependant, la valeur du loyer est extrêmement variable suivant lemplacement et peut atteindre des niveaux exceptionnellement élevés.
Pour pouvoir dire que le loyer est voisin de la valeur locative, inférieur ou supérieur, cest à dire pour pouvoir le comparer à dautres loyers, il convient deffectuer une pondération des surfaces dont le but est de transformer les 1.100m² du local en une surface de boutique idéale donc plus réduite.
La pondération conduit à un prix de 5.000 /m² pondéré. Ce prix est-il normal, élevé ou faible pour les Champs Elysées ?
Aujourdhui, on peut relever sur cette artère de prestige des locations nouvelles à 5.000 voire 10.000 le m². Il sagit donc dun prix faible.
Cependant, certains points de comparaison constitués par des locations récentes ne ressortent quà 3.500 le m² pondéré. La faiblesse du loyer est compensée par le versement dun pas de porte ou lacquisition dun droit au bail. Le pas de porte et le droit au bail ont sensiblement la même valeur, le premier est payé à un propriétaire pour passer le pas de porte, le second à un locataire cédant pour avoir droit à un bail à prix réduit.
Dans les deux cas, cest un loyer en capital, qui, comme tout capital, peut être décapitalisé permettant de retrouver le prix du marché. Cette décapitalisation ne peut seffectuer à partir dun coefficient financier mais dun coefficient issu lui-même du marché, qui varie non seulement suivant la qualité de lemplacement mais aussi dans le temps.
Cependant, en renouvellement de bail, on napplique à peu près jamais le prix du marché de 5.000 ou 8.000 le m² mais un prix plus faible en vertu de larticle 23-5 du décret du 30 septembre 1953 imposant de tenir compte des loyers du voisinage, cest à dire des prix issus du marché et des loyers en renouvellement amiables ou fixés judiciairement. Ces loyers en renouvellement natteignent sur lavenue des Champs Elysées que 1500 à 2 500 le m² pondéré. Alors le prix de 5.000 /m² pondéré serait raisonnable.
Le raisonnement exposé est le même pour toutes les voies de haute commercialité : les commerces de la rue dAntibes à CANNES se louent sans pas de porte 2 000 le m² pondéré et les loyers en renouvellement natteignent que
300 le m². Rue dAlsace-Lorraine à TOULOUSE, on relève des prix de marché à 1000 /m² et des fixations judiciaires à moins de 500 /m² pondéré, etc
Sy ajoutent les modalités de fixation du loyer dorigine : la location a-t-elle été consentie avec un droit dentrée ?
Le loyer en renouvellement peut alors être très différent selon quun pas de porte a été versé ou non lors de la première mise en location. Larticle 23-3 alinéas 4 du décret du 30 septembre 1953 traite en effet des modalités de fixation dorigine du loyer
Sy greffent enfin les possibilités de déplafonnement du loyer. Les loyers commerciaux sont en principe indexés annuellement ou tri annuellement sur les variations de lindice INSEE du coût de la construction.
Pour sortir de lindexation en fin de bail, cest à dire au bout de 9 années, il faut une modification notable soit de lassiette du bail, soit du commerce autorisé, soit des obligations des parties soit encore des facteurs locaux de commercialité.
Les facteurs locaux de commercialité sont les plus difficiles à appréhender. Si lon considère que la commercialité est un flux dargent, à savoir un flux de chalands plus la quantité dargent que ceux-ci sont prêts à dépenser, la modification des facteurs locaux de commercialité est la perturbation de ce flux.
La perturbation dun flux dargent ne peut être mesurée directement mais indirectement en recherchant les nouvelles constructions habitées par une population plus riche, la variation de fréquentation des transports publics, lévolution des prix de cession, etc
Sy ajoutent les durées contractuelle ou effective du bail. Un bail dune durée contractuelle supérieure à 9 années échappe au plafonnement mais le loyer dun bail dune durée effective inférieure à 12 années est plafonné par lapplication des indices.
Enfin, les méthodes dappréciation de la valeur locative à partir dune surface et dun prix unitaire sont celles des propriétaires et de lexpert judiciaire tenu par le décret du 30 septembre 1953.
Lexploitant privilégie de son côté le chiffre daffaires quil est susceptible de réaliser au mètre carré daire de vente et consacre une quote-part de sa marge brute au loyer. Le loyer au mètre carré na, pour lui, à peu près aucune signification.