Le coup d'oeil de l'expert thermicien

Publié le par fritih

L'article que vous allez lire est le rapport, le plus fidèle possible, d'une conversation à bâtons rompus avec René-Louis BARRAULT, fondateur du cabinet d'études Barrault Recherche, l'un des meilleurs experts actuels en matière de chaufferies et plus généralement de thermique industrielle.

Tout est venu d'une seule et simple question : "Quand vous entrez dans une chaufferie, que regardez-vous en premier ?". Le reste a coulé naturellement. Le reste, c'est à ire ce qu'il regarde effectivement, mais aussi ce qu'il mesure et ce qu'il calculé, avec en prime une petite histoire instructive de l'évolution technique des chaudières et des combustibles.

PREMIÈRE ÉTAPE - LE COUP D'OEIL EN ENTRANT

Quand on ouvre la porte d'une chaufferie, la première chose à regarder, c'est la propreté et l'ordre des lieux : ils sont le témoin de leur fréquentation et des consignes d'entretien. C'est une donnée à enregistrer.

Le deuxième coup d'oeil est pour la ou les chaudières. Il est aisé d'en déterminer le type, ainsi que celui des brûleurs disposés en façade. On ne rencontre quasiment plus de charbon, ce qui a enlevé l'une des grosses difficultés, mais aussi l'un des grands plaisirs des concepteurs et conducteurs de chaudières. La nature du combustible, fuel lourd ou gaz naturel, se repère immédiatement au diamètre des cannes d'injection et à la présence d'une vanne de sécurité pour le gaz. Quant au type de chaudière, on ne peut guère se tromper : sauf au-delà d'une puissance de 20 t/h, on ne trouve plus que des chaudières à foyer intérieur, dites encore à tubes de fumées. L'explication historique est simple et pleine d'enseignements.

Au temps du charbon, il fallait adapter la taille de la chambre de combustion et de la grille au combustible et ce n'était possible qu'avec des chaudières à tubes d'eau. Un tiers de la puissance était récupérée autour de la flamme grâce à 10 à 13% de la surface totale de chauffe, ce qui donnait une "rentabilité" extraordinaire à la tonne d'acier. Puis les fumées à 1 000°C suivaient un et plus souvent deux parcours d'échanges par rayonnement et convection, où leur température tombait à 550'C environ, avant d'effectuer un troisième parcours dans un économiseur interne, dont elles sortaient à 230'C. On parvenait ainsi à obtenir des rendements supérieurs à 80% sur PCI sans économiseur extérieur. Le plus bel exemple fut celui du paquebot Normandie et de ses chaudières P32, conçues "comme des cathédrales", dont les rendements n'ont jamais été dépassés.

La fin des chaudières à tubes d'eau

L'arrivée du fuel lourd, puis plus tard du gaz, a rouvert la porte aux chaudières à tubes de fumées alors qu'elles avaient été presque abandonnées par l'industrie pour des raisons de maintenance et de rendement. Leur principale caractéristique est d'être moins chères, ce qui a fait leur succès. Elles présentent néanmoins un inconvénient : pour limiter les risques de fluage, leurs chambres de combustion doivent être relativement étroites, avec des parois relativement froides (400 à 450'C). Elles exigent donc des brûleurs qui produisent des flammes pinceaux et non pas des flammes boules plus rayonnantes. En fait, pour des raisons d'économies, le diamètre du foyer se révèle toujours trop faible par rapport à la taille de la flamme.. Ceci a des conséquences importantes et souvent méconnues des industriels : sauf à la surdimensionner de 15 à 20%, une chaudière à tubes de fumées est, dans neuf cas sur dix, incapable de fournir son débit nominal, ou tout au moins de le maintenir dans le temps.

Dans les années 70-75, le marché des chaudières s'est effondré et la concurrence s'est faite plus rude. C'est alors que des constructeurs de chaudières à tubes d'eau ont commis une erreur stratégique grave. Au lieu d'essayer de faire valoir les qualités de leur technologie, ils ont choisi de contre-attaquer en adoptant la même tactique que les constructeurs de chaudières à foyer intérieur qui, cette époque, n'étaient pas tous tout à fait dignes de confiance: ils se sont mis à vendre des chaudières de 10 t/h pour des 12 t/h, ce qui, évidemment, faisait baisser les prix. Malheureusement pour eux, leurs chaudières trop légères et trop courtes n'assuraient effectivement pas leur capacité nominale et certaines se sont même mises à vibrer. Résultat, les chaudières à tubes d'eau ont disparu du marché des petites et moyennes puissances.

M. Barrault a la thermique dans les gênes. Son père, Jean Barrault, savait "Faire le feu' et l'interpréter ; il a conçu et fabriqué des chaudières à charbon à tubes d'eau de à 5 t/h (c'était la taille moyenne à l'époque de l'après-guerre) dont le rendement atteignait 84% sur PCI et même 87 à 88% avec un petit économiseur supplémentaire. Avant 21 ans, au début de sa carrière professionnelle, René-Louis Barrault a travaillé à plusieurs reprises en Alsace avec un ingénieur sarrois chargé de réaliser des essais dans les chaufferies industrielles. Les producteurs de charbon de la Sarre avaient en effet l'habitude d'envoyer gratuitement chez leurs clients un camion-laboratoire pour suivre les performances énergétiques de leurs installations. 'Y m'a appris à faire des bilons thermiques, et aussi la rigueur en mesurage", commente-t-il.

Chez les industriels, on va donc trouver essentiellement des chaudières à tubes de fumées, alimentées au fuel lourd ou au gaz ou encore équipées d'un brûleur mixte. Prenons l'exemple d'une chaudière de 10 t/h. Elle va débiter en moyenne 6 t/h et ne fonctionnera généralement à la puis

sance maximale que pendant de courtes durées. Pendant ces périodes, il suffit d'augmenter l'excès d'air pour "effacer" les inconvénients précités. Ca marche, et on oublie les problèmes - mais ils n'ont pas pour autant disparu.

Les inconvénients du fuel lourd

L'utilisateur de fuel lourd doit savoir qu'il brûle un combustible qui est beaucoup moins homogène qu'auparavant. Le fuel lourd est aujourd'hui produit par fluxage de fuel très lourd (type brai) et de fuel domestique et ces deux fractions, lourde et légère, se séparent progressivement au cours du stockage. On commence par aspirer le fuel très lourd, ce qui nécessite d'augmenter la température de préchauffage et d'opérer à 1450C sous 35 bar. Au passage, il faut signaler que ces conditions opératoires peuvent poser des problèmes de résistance des joints de pompes, conçues généralement pour fonctionner à 1 25°C sous 25 bar. Avec ce fuel très lourd, on obtient une flamme "difficile", qui a tendance à fumer. Le technicien de conduite va alors réduire le débit du brûleur et augmenter l'excès d'air. Ce qui se traduit évidemment par une chute du rendement.

Progressivement, on en arrive à pomper la fraction plus légère. A ce moment, la température de préchauffage est trop élevée pour le produit, la pulvérisation est trop violente et les particules de fuel vont trop loin. On se trouve alors confronté au risque de formation d'imbrûlés gazeux (CO et CnHm).

De façon plus générale, la flamme étroite et la chambre "froide" (400-450'C) des chaudières à tubes de fumées ne peuvent garantir une bonne combustion: dès qu'un atome de carbone s'échappe de la flamme, son oxydation n'est plus assurée (dans les chaudières à tubes d'eau, les tubes étaient séparés par des pièces en céramique dont la température pouvait monter jusqu'à 800'C). Il en résulte la formation d'imbrûlés solides et la nécessité d'installer un dépoussiéreur et d'arrêter périodiquement la chaudière pour ramoner, ce qui est une mission impossible dans la pratique. Une raison de plus pour passer au gaz, plus facile à brûler, ce qui a en outre favorisé encore davantage les chaudières à tubes de fumées. Ainsi l'industrie glisse vers la mono-énergie fossile qui lui interdira de bien négocier ses contrats d'achat de combustible, et qui lui interdit de repasser au fuel : il s'agit donc d'une double dépendance économique et de sécurité

Les risques du gaz naturel

Car entre temps, bien sûr, le gaz naturel est arrivé et les équipements nécessaires à son utilisation (vannes de sécurité, brûleurs, automatismes) se sont développés et sont aujourd'hui parfaitement au point. On connaît tous les atouts du gaz, sa facilité de combustion, sa propreté. On oublie le plus souvent de mentionner le seul vrai problème posé par son utilisation : la formation de CO, que personne ne mesure dons les fumées, mais qui peut s'y trouver en quantité importante et plus gênante que les NOx. La formation de cet imbrûlé gazeux peut avoir deux origines.

La première concerne le passage des chaudières fuel existantes au gaz. Si la chaudière fuel a été bien conçue avec une chambre et un brûleur correctement dimensionnés, il n'en sera plus de même pour le gaz : la flamme de gaz a normalement besoin d'un volume de chambre 20 à 30% supérieur car elle rayonne moins, ce qui ralentit l'oxydation du carbone. Dans une chambre dimensionnée pour le fuel, on risque donc fort de produire du CO et la seule solution est alors de détartrer la chaudière.

La seconde raison est liée aux variations du PCI du gaz naturel et à la difficulté qui en résulte de prérégler l'excès d'air. Le gaz, provenant de diverses origines géographiques, présente en effet des compositions chimiques différentes et un PCI qui peut varier, à l'extrême, de plus de 20%. Si le réglage de l'excès d'air s'effectue au moment où le PCI est maximum, le seul risque encouru est d'avoir trop d'air quand il sera plus faible, d'où une perte de rendement. Mais si le réglage s'effectue au moment où le PCI n' a pas sa valeur maximale, alors on risque de se trouver à certains moments en défaut d'air et de produire du CO. La solution existe : on trouve sur le marché des appareils type 'comburimètre" qui mesurent en permanence le PCI du gaz, ce qui, avec une mesure d'oxygène dans les fumées, permet d'asservir en temps réel le débit d'air comburant aux caractéristiques du combustible. Mais on en trouve rarement dans les chaufferies industrielles (ils sont davantage utilisés pour le réglage des fours).

Il faut se souvenir, dans ces deux circonstances productrices de CO, qu'il s'agit d'un gaz combustible susceptible de provoquer des explosions s'il vient au contact d'une paroi chaude. Tout ceci explique que l'usage du gaz nécessite une réflexion appuyée.

DEUXIÈME ÉTAPE - LA DISCUSSION

Depuis le pas de la porte, pour ainsi dire, il est donc possible de voir si la chaufferie est capable ou non de fournir le débit nominal. Il est également possible de porter un jugement sur sa facilité ou sa difficulté d'exploitation, et même parfois sur les dangers éventuels, en observant la conception d'ensemble : tableau de contrôle-commande, disposition des équipements, position des niveaux à glace qui permettent ou non de bien voir le niveau d'eau, âge de la boîte de régulation. Il faut signaler à ce propos que les boîtes mécaniques à rotation renferment certaines pièces en plastique qui durcissent avec le temps et deviennent fragiles. En cas de rupture de l'une d'entre elles, la fonction correspondante n'est plus assurée. S'il existe un système de contrôle, il déclenchera une panne ; mais s'il n'y en a pas, la situation peut devenir dangereuse.

Toutes ces observations sont ensuite complétées et confortées par une discussion avec l'exploitant afin de juger de son niveau de compétence et de ses capacités de réaction. Ce sondage est indispensable pour savoir s'il est capable d'exploiter la chaufferie en toute sécurité.

TROISIEME ETAPE - LA VISITE DÉTAILLÉE

Nous voici enfin à l'intérieur de Ici chaufferie, pour un examen détaillé et précis - mais toujours visuel - des différents circuits : circuit du combustible jusqu'au brûleur et sa régulation ; circuit de l'eau depuis l'entrée de l'eau brute jusqu'à la sécurité de manque d'eau ; sortie de vapeur ; évacuation des fumées. L'expert regarde chaque équipement, chaque appareil, tout en demandant des explications au conducteur de la chaufferie : le manœuvre-t-il ? avec quelle fréquence ? pour quelles raisons ?

Autre point important : estimer la qualité du fluide produit, et notamment de la vapeur. Un examen attentif de la conception de la chaudière suffit pour savoir s'il y a ou non primage en régime transitoire. Le primage est un phénomène trop souvent ignoré des industriels. Or, il peut se traduire par des échangeurs dégradés et des canalisations embourbées. Mais la plupart des industriels et des exploitants de chaudière l'ignorent. La raison en est simple : la thermique pratique, applicative, science autrefois "noble", n'est plus suffisamment enseignée, à quelque niveau que ce soit, si bien que plus personne ne sait conduire une chaudière.

DERNIÈRE ÉTAPE - CALCULER LE RENDEMENT

Il existe deux méthodes pour calculer le rendement d'une chaudière : le bilan massique, Ici plus complexe mais la plus sûre, ou le bilan par les pertes, la plus courante mais en réalité la plus délicate.

Bilan massique

On calcule d'un côté l'énergie entrante, c'est à dire celle du combustible (débit x PCI) et celle de l'eau d'alimentation (fonction de sa température), de l'autre l'énergie utile sortante, c'est à dire celle de la vapeur produite, corrigée éventuellement du primage. Le rapport de la seconde à la première fournit le rendement massique, qui n'est pas contestable.

Cette méthode se heurte à deux difficultés. D'abord, la détermination du PCI du combustible: sur le fuel lourd, l'erreur est assez faible, mais peut quand même atteindre 2% particulièrement quand il vient de l'étranger ; sur le gaz naturel, on l'a vu, l'incertitude est assez large. Ensuite, la qualité des mesures. Il est en particulier nécessaire d'appliquer la méthode en temps réel, de façon à établir les corrélations et effectuer la correction des réglages. C'est la seule manière d'apprécier réellement la qualité de la combustion. Avec le fuel lourd, par exemple, il est nécessaire de mesurer à la fois le PCI et la viscosité, car ce dernier paramètre conditionne le réglage du brûleur. Et ce n'est pas parce que le rendement calculé est bon qu'il faut s'en satisfaire. Encore faut il savoir pourquoi afin de pouvoir retrouver ultérieurement les conditions de fonctionnement correspondantes.

Bilan par les pertes

Plus simple en apparence, cette méthode réclame en fait une très grande expérience de la part de l'opérateur. Il faut en avoir fait beaucoup, dans des situations très différentes, avant d'être capable d'éviter les pièges, qui sont nombreux. La méthode, on le sait, consiste à sommer toutes les pertes.

a. Pertes par les parois :

On ne peut pas se fier pleinement aux données du constructeur, d'une part parce que le calorifugeage a pu se dégrader, d'autre part parce que le chiffre indiqué à l'origine est un minimum (le constructeur est souvent optimiste) correspondant au régime nominal de la chaudière. Si la chaudière fonctionne à régime plus faible, les pertes relatives augmentent. Leur détermination précise réclame en fait un travail méticuleux : partager les parois en carrés élémentaires et mesurer les déperditions par rayonnement et convection naturelle de chaque carré. Les sources d'erreurs sont nombreuses, par exemple la présence de points singuliers ou l'évaluation de l'émissivité de la surface en présence d'aspérités. Il est facile de se tromper d'un facteur trois - et encore, dans les cas simples.

- Chaleur sensible des fumées : Il faut connaître la différence de température entre l'air aspiré au brûleur et les fumées, mesure simple côté air, moins simple côté fumées ; la masse des fumées, qui se détermine par une mesure de leur teneur en oxygène (mesure devenue plus fiable que celle de la teneur en C02) ; et leur masse volumique, donnée habituellement fournie par des tables mais qu'il est parfois nécessaire de calculer en revenant à la chimie des gaz.

- Imbrûlés : Il n'y a jamais d'hydrogène, car sa température d'allumage est très basse. En revanche, il faut tenir compte du soufre, ce qui ne peut pas se faire simplement sur Place, du carbone dont la teneur n'est pas si facile à mesurer (les mesures d'opacité ne donnent que des résultats approximatifs), et enfin du CO, dont la mesure est devenue indispensable avec le gaz naturel et qui est régulièrement omise.

b. Primage : Son évaluation requiert une analyse chimique de l'eau de chaudière et des condenses :

La somme des pertes, retranchée à 100%, fournit effectivement le rendement de la chaudière, mais pas l'énergie produite. Pour accéder à cette donnée tout aussi importante, il faut en outre déterminer soit l'énergie entrante, soit évidemment l'énergie sortante. Comme cette dernière est plus délicate à évoluer (mesures sur la vapeur avec

corrections de température et de pression), on se rabat le plus souvent vers la détermination de l'énergie entrante avec les imprécisions déjà évoquées sur les PCI.

Connaissant l'énergie entrante et le rendement, il est facile d'en déduire les tonnes de vapeur produites. Et c'est ici que l'expérience parle : il ne faut pas s'en contenter. Il est toujours nécessaire de mesurer quand même l'énergie sortante afin de 'boucler" le bilan effectué. La divergence éventuelle entre la valeur calculée et la valeur mesurée met en lumière soit des dysfonctionnements inconnus (par exemple des pompes saturées incapables de fournir le débit prévu), soit le plus souvent des erreurs de mesure ou d'appréciation du PCI.

La détermination précise et fiable du rendement de combustion d'une chaudière n'est donc pas une tâche simple, à confier à n'importe qui. Les mallettes portables peuvent-elles faciliter le travail ? Elles peuvent effectivement se révéler utiles à condition surtout que le programme informatique résidant dans le microprocesseur ait été bien conçu, mais aussi d'en connaître les limites : leurs constructeurs annoncent souvent un calcul de rendement de chaudière, ce qui est faux. Le rendement calculé est un "rendement sur les fumées" et la détermination du vrai rendement de la chaudière implique de prendre en compte aussi les pertes par les parois et les imbrûlés, ainsi que le PCI du combustible, avec toutes difficultés déjà évoquées. La seule solution vraiment rigoureuse est de brancher tous les capteurs nécessaires, de centraliser leurs données sur un ordinateur équipé d'un logiciel adapté, qui établit la chimie des gaz et de calculer le rendement en temps réel à toutes les allures de chauffe.

Ces exigences de rigueur et les difficultés qui en découlent jettent une ombre sur la portée réelle du décret n°98-817 du 11 septembre 1998 relatif aux rendements minimaux et à L'équipement des chaudières de puissance comprise entre 400 kW et 50 MW.

Publié dans Base de connaissances

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